Bonjour,
Quatre ans après la publication du rapport de la CIASE, vous consacrez votre numéro 884 de Golias Hebdo au sort réservé à ce rapport. Ce qui me frappe dans tous les articles consacrés à ce sujet, c’est que l’on parle de tout : de l’histoire, du présent, des mesures de prévention, mais on ne parle pas des victimes. Je veux dire par là que, comme vous le rappelez, le rapport de la CIASE a dénombré 216 000 victimes mineures de prêtres pédocriminels, et 330 000 si l’on ajoute les victimes du personnel laïc participant à la vie de l’institution catholique. Or, on sait qu’il n’y a pas plus de 1 % de ces victimes qui se sont manifestées auprès de la CRR ou de l’INIRR. Ce qui signifie qu’environ 325 000 victimes n’ont pas réussi, n’ont pas pu, entamer un vrai chemin de restauration et de réparation auprès de ces deux organismes, justement créés à cette fin.
Cette situation déplorable s’explique par plusieurs considérations :
- La recommandation numéro 30 de la CIASE n’a jamais été appliquée par qui que ce soit, sauf dans très peu de cas où le prédateur avait une grande visibilité médiatique. Recommandation n° 30 : Mettre en place, au sein de l’Église, un processus d’éclaircissement des accusations portées en matière de violences sexuelles, lorsque l’auteur est décédé ou l’action publique éteinte.
- Le président de la CIASE, Jean-Marc Sauvé, lorsqu’il a présenté son rapport, a dit qu’il était plus difficile pour une victime de parler que de sauter du deuxième étage de la tour Eiffel. Pourquoi ? Parce que, pour une victime d’agression sexuelle et/ou de viol, parler de ces événements à d’autres l’oblige à revivre ces agressions traumatisantes, l’oblige à revivre toutes ses émotions, toute sa honte. Il est indispensable de lui tendre la main pour l’encourager à parler.
- De manière systématique, les clercs se refusent à donner le nom des prêtres accusés de pédocriminalité par des victimes, soi-disant pour protéger la réputation du prêtre, mais en fait pour protéger la réputation de l’Église, au détriment de toutes les victimes du prêtre dont on cache le nom. La publication des noms des prédateurs est fondamentale pour aider les victimes à parler. J’en veux pour preuve le témoignage du frère Patrick Goujon, s.j. Il a écrit un livre, « Prières de ne pas abuser », relatant sa vie de victime suite à des agressions sexuelles par un prêtre lorsqu’il était enfant. Et il termine son livre par une phrase que personne ne veut entendre : « La joie m’a saisi quand le nom de l’agresseur fut prononcé par un autre que moi : je n’avais pas déliré ; j’étais sauvé. » En effet, chaque victime croit être la seule victime de son agresseur. Et chaque victime culpabilise face à son comportement vis-à-vis de ce prêtre. Elle se croit responsable. Elle croit que c’est elle qui l’a séduit. Mais lorsqu’elle entend qu’elle n’est pas la seule victime, elle comprend qu’elle n’est pas responsable, qu’elle n’est pas coupable, qu’elle est victime. Et seulement à ce moment-là peut-elle envisager la possibilité d’en parler à d’autres, car elle n’est plus coupable, elle est victime.
Il faudrait que ces gens d’Église arrêtent de parler comme des savants sur ce sujet de pédocriminalité et qu’ils commencent par enquêter à la recherche des victimes de chacun de ces prêtres pédocriminels, en commençant par faire des appels à témoignages qui désignent nommément les criminels en question.
JP Martin-Vallas
PS: rejoignez le Collectif des victimes d’abus sexuels par des prêtres jésuites sur sa page Facebook éponyme, ou sur le site https://covijez.over.blog/
