LE MENSONGE DES PÈRES


Témoignage / samedi, novembre 29th, 2025

« Ils nous apprennent à ne pas mentir, mais qui les arrête, eux ? À cinq ans, un prêtre a brisé mon enfance. Plus tard, un autre, sous couvert de spiritualité, a achevé de détruire ce qui restait de ma confiance. L’Église m’a accusée de mentir, m’a forcée à me taire, et a protégé les coupables. Ce n’est pas l’histoire d’une victime, mais le combat d’une femme qui refuse de laisser l’hypocrisie des soutanes étouffer la vérité. »

Dès l’enfance, au catéchisme on nous enseigne à vivre selon les Dix Commandements, l’un d’eux a toujours retenu mon attention, le huitième : «  Tu ne porteras pas de faux témoignage, ni ne mentiras ». 

Je me suis toujours demandée : pourquoi l’Église ne respecte-t-elle pas ce commandement ?

À l’âge de cinq ans, on a déménagé avec ma famille à Reggio de Calabre. Ma mère, très croyante et catholique, a pensé que c’était bien pour moi, m’inscrire au catéchisme et à l’Action catholique, afin de connaître d’autres enfants et m’intégrer dans un environnement ‘sain et serein’.

Je me souviens encore de la première fête, toutes les paroisses réunies en la cathédrale, j’étais parmi les plus jeunes du groupe de l’action catholique, c’était ma première fête, ma première sortie, et je me sentais comme une grande, fière, heureuse… mais un ogre, vêtu de noir, avec un col blanc, a anéanti toute la joie de cette journée.

Au moment où, tout le monde prenait la photo de groupe sur l’autel dans l’église, en profitant de la confusion et du bruit, il m’a soulevée, m’a placée sur une chaise, m’a serrée fort contre lui, m’a immobilisée avec toute sa force et, par derrière, a frotté ses parties génitales contre mes fesses. Je ne pouvais ni bouger, ni appeler à l’aide ; tout le monde était occupé à prendre la photo, et à cet instant, sous les yeux de tous, j’ai subi l’horreur d’un abus sexuel commis par un prêtre répugnant, qui s’en prenait à une petite fille sans défense, et après avoir assouvi son plaisir, il me disait : « Sage fille, tu as été sage, tu es vraiment une fille très sage ! » Je n’avais que 5 ans, et je n’ai jamais oublié son visage répugnant, ses cheveux teints en noir, son regard sadique, sa voix, ses grandes mains rugueuses…

Ma mère refusait de me croire, mais pire encore, elle a tout raconté à la catéchiste, qui m’a emmenée voir le curé, un exorciste célèbre, très connu en ville, que j’ai haï jusqu’à sa mort. Il m’avait dit que j’étais une menteuse, que j’avais une imagination malsaine et perverse, que je péchais contre Dieu, et que Dieu savait et voyait tout. Pire encore, cet exorciste répugnant a tout rapporté aux autres catéchistes pour les avertir. Dès lors, tout le monde me regardait bizarrement, et chaque fois que j’allais à l’église, je sentais les regards des autres sur moi.

Je me suis enfermée dans le silence, je ne parlais plus à personne et j’ai commencé à haïr ce prêtre qui m’avait touchée, cette catéchiste, Francesca, qui était amère, méchante, qui, à chaque fois que j’allais au catéchisme, me disait que Dieu veillait sur moi, et puis ce curé, exorciste, qui me rappelait que je devais demander pardon à Dieu en confession.

Quand le jour de ma première confession est arrivé, je ne voulais pas me confesser avec l’exorciste, j’ai essayé d’aller voir un autre prêtre, mais à un certain moment, j’ai entendu sa voix appeler la catéchiste : « Francesca, va la chercher, amène-la ici, elle doit se confesser maintenant avec moi! »

Francesca est venue me chercher, m’a attrapée par le bras et m’a ordonné de confesser mes péchés devant Dieu. J’avais neuf ans, je me souvenais parfaitement de ce qui s’était passé quatre ans plus tôt, ce dimanche-là à la cathédrale, et avec honte, sur la pression de ce prêtre, qui voulait me faire avouer que l’histoire de l’abus était seulement une invention de ma fantaisie, j’ai répété ce qu’il m’ obligeait à dire : « J’ai péché, j’ai porté un faux témoignage contre Dieu, j’ai menti, j’ai tout inventé. »

Je n’avais rien inventé. À cinq ans, j’avais dénoncé les abus de l’Église, mais j’étais petite, innocente, seule, contre tout et tous, et pire encore, j’ignorais de quoi l’Église était capable, les abus dissimulés derrière le silence et la duplicité du clergé.

Ce prêtre exorciste, malheureusement, a gâché le jour de ma communion, car, avec sa mesquinerie, il ne s’est pas contenté de me forcer à mentir en confession. Non, la veille de ma communion, il m’a obligée à jeûner en pénitence pour mes péchés, et le jour de la communion, il s’est moqué de moi, devant tout le monde.

Après ce jour, je n’ai plus voulu remettre mes pieds dans cette église. Je ne voulais plus jamais revoir cet homme répugnant, vénéré par tous comme un saint, ni cette catéchiste qui m’avait fait souffrir pendant des années.

Après des années, lorsque j’ai compris ce que j’avais vécu – l’ abus sexuel commis par un prêtre pédophile – j’ai voulu le dénoncer, mais je me suis heurtée devant à un mur de silence. Prêtres, évêques, tous unis pour me dire que je ne pouvais accuser personne sans preuves. J’ai cherché dans les annales du diocèse, cherchant son nom, mais on m’en a empêché d’ accéder aux archives. Après l’ abus, un autre abus : celui du silence de ceux qui couvrent et sont complices, de l’église. Qui sait combien d’autres enfants ont subi le même sort, et combien de souffrance et de douleur ils ont dû garder et étouffer dans le silence ?

Les abus ne s’effacent pas comme la craie sur un tableau noir ; ils restent indélébiles sur la peau, sur le corps de la victime, comme une cicatrice qui demeure à jamais, à témoigner cette douleur.

Mais la vie me réservait bien d’autres souffrances , j’étais destinée à endurer des douleurs encore plus fort : des abus spirituels et psychologiques à caractère sexuel.

Pendant une période très difficile de ma vie, je me suis tournée vers une communauté religieuse. Une amie m’avait parlé d’un père charismatique, doté d’un don particulier, qui prononçait de magnifiques sermons et qui m’aurait aidé à trouver la paix intérieure et guidé spirituellement.

Avec beaucoup de doutes et d’hésitations, je suis allé rencontrer ce père, mais sa confession m’a déçue, car il semblait pressé, et j’ai douté de sa véritable religiosité.

J’ai voulu quand même participer à la messe pour mieux le connaître. En effet, ses homélies étaient très belles, très charismatiques, et ,comme ça, il est rapidement devenu mon confesseur, mon père spirituel.

Je me suis confiée à lui, je lui ai parlé de mes problèmes, de mes souffrances. Je le voyais comme un frère, un ami sincère et digne de ma confiance, un véritable ami. Je lui ai raconté les abus que j’avais subis pendant mon enfance, ma douleur de ne pas avoir été crue et le silence qui avait entouré ces abus toute ma vie. Je me souviens que quand je lui parlait, son regard a changé à cet instant, mais je n’ai pas tout de suite compris la raison. Je me souviens de ses mots : « C’est formidable que tu te sois confiée à moi ! Notre amitié est désormais spéciale, car tu m’as révélé ton secret, ta vie. »

À partir de ce jour-là, il a commencé à m’appeler, à m’envoyer des messages pour aller le voir après la messe, pour discuter. C’était devenu agaçant, mais il me disait qu’il le faisait pour moi, parce qu’il comprenait que j’avais besoin de lui, qu’il m’aimait. Puis, un jour, il a commencé à me parler étrangement ; Dieu l’appelait à être un homme, à m’aimer selon la volonté de Dieu, mais il disait que ce n’était pas de l’amour charnel, c’était un amour pur, total, fait de corps et d’âme. Il me parlait d’une relation spéciale, qui devait rester secrète, que j’étais spéciale et que j’avais besoin de quelqu’un de spécial comme lui, et que je ne devais pas avoir peur parce que Dieu voulait mon bonheur et je ne devais rien craindre avec lui, il était comme un ange envoyé par Dieu.

J’ai commencé à avoir peur, je ne pouvais plus supporter cette relation oppressante, malsaine et perverse, et je lui ai parlé tranquillement, mais il ne voulait rien écouter, il est devenu violent, furieux ; il n’était plus le père charismatique que j’avais connu ; en fait, peut-être ne l’avait-il jamais été ! Il a commencé à m’insulter, à m’humilier, à me faire sentir stupide, incapable. Soudain, j’ai perdu toute estime de moi, et pire encore, ce religieux, ce père que j’avais choisi comme père spirituel, était en train de me détruire. Il est passé des abus spirituels aux abus psychologiques, puis aux abus sexuels, sans se préoccuper des conséquences pour moi, pour ma vie.. Il disait que Dieu était amour, qu’il l’appelait à être un homme, à m’aimer, sans honte ni pudeur, car Dieu s’était fait homme pour aimer toute l’humanité.

Il me disait que la chasteté n’existe pas, que c’est une invention humaine, et que la Bible n’en faisait même pas mention. Si Dieu avait voulu des hommes chastes, il aurait agi contre nature et imposé la castration. Il m’a aussi dit que la chasteté était une invention de l’Église, et que c’était la cause de tant d’abus sur les enfants et les religieuses.

J’étais complètement désorientée, lui, un homme de Dieu, un érudit biblique, qui parlait de discernement, de la responsabilité de l’homme, me parlait maintenant, comme un animal en proie à ses instincts et à des pulsions sexuelles incontrôlables.

J’ai demandé de l’aide à des frères, des prêtres et des théologiens qui écrivent des livres et donnent des conférences sur le sujet des abus spirituels et religieux, mais personne ne m’a crue. Sept prêtres m’ont conseillé de me taire, d’oublier, de pardonner et de passer à autre chose, de chercher d’autres centres d’intérêt qui me permettraient de penser à autre chose dans la vie, car sinon je ne ferais rien de bon et je sombrerais dans la dépression.

À tous ces prêtres, aujourd’hui je tiens à dire que : votre silence est pour moi une seconde forme d’abus, car c’est impossible oublier. On ne peut pas pardonner facilement les abus et les abuseurs, mais surtout, il s’agit de ma vie, elle ne sera plus jamais la même. Cet abus a eu des conséquences indélébiles, et aujourd’hui, mon seul souci est qu’aucune autre victime ne souffre en silence comme moi. Avec courage, grâce au soutien de nombreux amis, devenus aujourd’hui ma famille, j’ai décidé de dénoncer. Mais malgré cette dénonciation, les preuves accablantes contre lui, son faux mysticisme, sa perversion, son narcissisme pathologique, ses manipulations, ce prêtre a continué d’exercer pendant des mois, de célébrer la messe avec des enfants, de publier des lectures bibliques, des exercices spirituels , se présentant comme un guide spirituel pour l’humanité sans le moins pudeur.

Pendant des mois, peu à peu je m’isolais, sombrant dans le silence et l’indifférence de tous ceux qui me disaient de me taire, car ce qui m’était arrivé n’était pas grave, une erreur, ça peut arriver à n’importe qui, il suffit de se relever… Quel dommage que cette affaire ait marqué ma vie à jamais !

Tout comme dans le jeu des échecs on déplace les pions, comme ça, dans l’Église, dès qu’un abus est signalé, les prêtres sont mutés d’une paroisse à une autre, d’une ville à une autre . Et comme on pouvait s’y attendre, le prêtre en question a été transféré pour ‘raisons de santé’ . Mais la réalité est bien tout autre : il a été suspendu et ne pourra plus jamais exercer de fonction religieuse car il est accusé d’abus spirituels, psychologiques et sexuels.

Je me demande comment c’ est possible de croire en une telle église, qui invoque des raisons de santé pour couvrir un agresseur, jusqu’à quand l’église persiste à se cacher et à protéger ceux qui n’ont même pas le moindre esprit chrétien ?

Combien de temps encore l’église continuera-t-elle à dissimuler les abus, à garder le silence, à refuser d’écouter les victimes, protégeant ainsi l’abuseur qui, n’a pas le courage d’assumer la responsabilité de ses actions et se prétend victime à son tour?

On fait preuve d’humanité envers l’abuseur : on lui fournit un avocat pour se défendre au tribunal, un psychologue pour l’aider, car il souffre de détresse psychologique suite à la plainte, lui qui auparavant jouissait d’une excellente santé mentale, et la victime, alors ? Qui pense à elle ?

La victime est laissée sans soins, dans l’incertitude, rongée par la culpabilité, attendant des nouvelles de l’enquête, du procès et de tout ce que l’Église devrait lui apporter – aide médicale et psychologique –rien, même pas un mot d’explication, car la victime n’est jamais considérée comme telle, mais plutôt comme une victime ‘présumée’!

Je n’aime pas utiliser les termes « victime » ou « survivor », car ces mots sous-entendent une passivité. Je suis vivante et active, et ma voix, une fois silencieuse, doit désormais être un cri strident pour les oreilles sourdes qui ont refusé d’entendre !

La faute n’est JAMAIS de la victime qui a trouvé la force de dénoncer, mais de l’abuseur qui a trahi sa confiance, sa foi et son amour, la faute incombe uniquement à ceux qui font du mal, jamais à ceux qui ont eu le courage de dire « BASTA».

En dénonçant, je sais que j’ai fait quelque chose de profondément JUSTE, même si c’était douloureux, car j’ai dénoncé ce qui perturbait ma vie quotidienne depuis des mois. J’ai eu le courage de dire la vérité là où d’autres préféraient le silence, et en cela réside une force rare que personne ne pourra jamais m’enlever, car aujourd’hui, ma vie est la conséquence de ces abus, et je m’en suis enfin libérée.

J’ai brisé une chaîne invisible de peur, de honte et de mensonge, et j’ai donné la parole à de nombreuses autres femmes qui, comme moi, ont subi des manipulations prises pour un guide spirituel.

J’espère que chaque jour, petit à petit, chaque victime pourra ressentir la légèreté qu’elle mérite, la paix que nous méritons et la fierté d’avoir choisi la vérité.

L’Église devrait relire le huitième commandement, qui interdit de déformer la vérité dans les relations avec autrui. Cette norme morale découle de la vocation du peuple saint à témoigner de son Dieu, qui est vérité et désire la vérité. Les offenses contre la vérité expriment, par les paroles ou les actes, un refus de s’engager sur la voie de la rectitude morale : ce sont de profondes infidélités à Dieu et, en ce sens, elles sapent les fondements de l’Alliance.

Tant que l’Église considérera une mensonge, comme une fausse réalité pour ceux qui ne doivent pas connaître la vérité, n’assumera jamais ses responsabilités, continuera de s’aveugler et de vivre dans le mensonge constant des pères.

Libérée

Traduit de l’article paru le 14/11/2025 sur le site de l’association La rete l’Abuso

LA MENZOGNA DEI PADRI – Rete L’ABUSO

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