Lettre ouverte au frère Grégoire Le Bel S.J.


Sans catégorie / vendredi, août 1st, 2025

Mon frère,

Je vous remercie beaucoup de votre réponse qui appelle certains commentaires de ma part.

Vous dites qu’il vous a fallu attendre le rapport de la Ciase pour comprendre l’ampleur du phénomène ; je me permets de vous rappeler qu’en mai 2011, j’avais reçu 8 témoignages de victimes du frère Gilbert Lamande SJ, et vous en avais mis au courant ; vous saviez donc très bien que ce frère n’avait pas fait qu’une seule victime et vous avez quand même attendu 2014 pour mettre en place un groupe d’accueil.

Pour ce qui est du recueil des témoignages, je vous félicite de votre décision de publier ce recueil sur votre site web en accès libre ; je regrette seulement qu’il vous faille plus d’un an pour arriver à ce résultat.

Vous me confirmez ne pas vouloir publier la liste des jésuites reconnus comme agresseurs sexuels ; vous me dites être motivé par des critères précis que vous avez déjà exposés, mais je regrette de n’avoir jamais eu connaissance de ces critères et vous serais très reconnaissant de bien vouloir me les préciser.

Sans doute avez-vous été parmi les premiers à publier quelques noms, mais vous ne l’avez fait qu’après que ces noms aient déjà été rendus publics par d’autres, alors que vos confrères du Canada et des États-Unis ont publié depuis longtemps une liste quasi exhaustive des criminels de votre congrégation ainsi que leurs parcours professionnels.

Mon expérience, ainsi que celle du frère Patrick Goujon SJ, montrent à l’évidence qu’un appel à témoignage sans le nom des frères jésuites incriminés perd 90 % de son efficacité. Je vous rappelle cette phrase qui se situe dans la dernière page de son livre « Prière de ne pas abuser » :

« La joie m’a saisi quand le nom de l’agresseur fut prononcé par un autre que moi, je n’avais pas déliré, j’étais sauvé. »

Par ailleurs, le rôle des réseaux sociaux dans l’affaire Bétharram, ainsi que de quelques autres affaires dans la même région, s’est révélé impressionnant.

En ce qui concerne mon affirmation que chaque établissement scolaire tenu par les jésuites a abrité au moins un agresseur sexuel, c’est moi qui ne vous suis pas ; en effet, la note de François-Xavier Camenen, qu’il a adressée aux présidents des associations des anciens élèves des écoles jésuites, le 03/02/2022, établit que 35 jésuites ont sévi dans 14 de vos établissements ! Il n’en reste plus que 2 où, à mon avis, une enquête serait couronnée de succès.

En dernier lieu, je vous avais demandé d’avertir de la création de notre collectif toutes les victimes invitées à participer à la journée mémorielle du 1er mars dernier, ainsi que les associations d’anciens élèves, en leur demandant de la diffuser à leurs membres. Je comprends que les présidents de ces associations vous ont tenu au courant de notre démarche, mais je dois vous avouer que strictement aucun n’est entré en contact avec nous, et vraisemblablement aucun n’a diffusé cette information auprès des anciens élèves. Mes différents contacts avec les associations d’alumni m’avaient déjà permis de réaliser qu’un ancien élève non victime ne se sent que très peu concerné par la souffrance des victimes, ni par les crimes commis par certains jésuites. Aussi, je pense que si cette information était diffusée par vous-même, elle serait très certainement prise plus au sérieux par les présidents de ces associations.

Cordialement,

Jean-Pierre Martin-Vallas au nom du collectif.